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Le Spéculum aux alouettes
15 février 2015

Le test de grossesse

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Samedi 15 septembre 2001.

Veillée d'armes. L'Amérique se recueille et prépare la riposte. Partout dans le monde, les hommages aux victimes du World Trade Center se  multiplient.

Recluse dans les toilettes, Camille ouvre en toute discrétion la boîte d’un test de grossesse dit « précoce ».  La rédaction du mode d’emploi transforme ce moment en un événement solennel et plutôt effrayant. « Utilisable à n’importe quel moment de la journée. Fiable à   99 %. »  La lecture s’achève par : « Quand vous vous sentez prête, sortez le test de son emballage. » Déglutition. On dirait une clé USB géante.

Elle imagine la version compatible avec l’ordinateur. Une séquence de tam-tam rythme la phase d’imprégnation. Une voix de synthèse invite à patienter, résultat dans deux minutes, ça fait sourire, c’est dingue ce que les laboratoires pharmaceutiques inventent !, résultat dans une minute et trente secondes, cette voix commence à faire flipper, résultat dans une minute, le cœur s’accélère, résultat dans trente secondes, la respiration devient saccadée, résultat dans quinze secondes, hyperventilation, décompte final, 5, 4, 3, 2, 1, coup de cymbales. La voix annonce « enceinte, félicitations, voulez-vous sauvegarder le fichier » ou « pas enceinte, game over, veuillez jeter le test, il va s'autodétruire ». Cela éviterait ainsi à certaines de conserver abusivement le test afin de vérifier de manière compulsive tous les quarts d’heure si un trait parallèle ou perpendiculaire ne s’est pas finalement décidé à apparaître.

Les mains maladroites, le tambour du Bronx dans la poitrine, elle décapuchonne le stylo du destin.

En quelques minutes, un pipi pas comme les autres fait apparaître un pâle trait bleu, parallèle à la ligne témoin. Et cette minuscule trace de pigment remue tout à l’intérieur, c’est le grand déménagement. Les cartons sont balancés sans précaution, déballés à la va-vite, mal ordonnées, la joie, la peur, le doute, l’appréhension, l’excitation, elle ne sait pas quoi en faire, où les ranger. C’est trop d’émotions, la tête tourne, elle s’assoit sur son trône de reine-mère.               

Il faut préparer une surprise à Guillaume. Une petite mise en scène originale dont il se souviendra avec émotion. Comment on annonce cette nouvelle ? Elle n’y a pas encore réfléchi, sûrement par superstition. On achète des chaussons ? Non, ça pourrait porter malheur. Une peluche, une girafe qui fait pouet ? C’est pareil. Le test dans une boîte enrubannée ? Oh non, c’est pas très raffiné d’offrir de l’urine en bâton. On tape sur Google comment annoncer la nouvelle au futur papa ? Oui, c’est bien, ça. Elle va garder le secret en attendant de trouver une idée sur Internet.

Elle n’est plus seule désormais. Elle est habitée. Elle ressort du discret petit coin quasi hilare, et, malgré ses efforts pour le réprimer, un sourire appuyé illumine son visage. Voulant le chasser, elle le transforme en grimace et toute cette gymnastique faciale n’affiche rien de naturel.

Elle rit et elle tremble. Elle vient brusquement de changer de statut. Et ça se voit.

Elle est une future maman. Terrorisée et heureuse.

 

Guillaume s’étonne de la voir ainsi et se doute qu’il se passe quelque chose d’inhabituel. Il la questionne mais les mots ne sortent pas, elle ne sait que glousser bêtement, telle une poule à l’aube de sa première ponte. C’est encore irréel. Elle ne parvient pas à dire je suis enceinte, c’est basculer d’un coup dans un autre monde, Où la lune serait blonde, Et la vie serait féconde, c’est donner une réalité à ce germe de vie au fond de son ventre.

Le papa en devenir finit par apprendre la nouvelle sans effet de style. Après tout, l’annonce faite au mari se suffit à elle-même. C’est la promesse d’un tel bouleversement que l’information brute occasionne un choc, une décharge de plaisir et d’adrénaline, un effet euphorisant.

Une poupée dans une poupée, c’est l’image que Guillaume se fait de la grossesse. Un poupon gigogne dans sa poupée à lui.

Guillaume prend Camille par la main et l’entraîne au supermarché le plus proche afin d’acheter du champagne. C’est avant tout symbolique. Tremper ses lèvres dans l’effervescence de la victoire. Il en profite pour glisser dans le panier un livre sur les prénoms, puis mange pour trois tout un tas de cochonneries afin de stocker les besoins du futur bébé qui n’a aucun besoin de Granola ou de chips, a fortiori dans l’organisme de son papa.

(à suivre)

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