L'échographie : où est l'embryon ?

Vendredi 21 septembre 2001.

Une explosion sur le site de l'usine chimique AZF, dans la périphérie de Toulouse, provoque la mort de 31 personnes, en blesse 4 500 et fait des dégâts considérables.

Camille n’a plus mal. La pesanteur dans le haut de la cuisse a disparu. Les pauses pipi n’ont rien de suspect. Pour l’instant, jusqu’à preuve du contraire, elle est toujours enceinte. Une vie en attente, entre un attentat et une explosion. Elle appelle son médecin. La généraliste préconise une vérification approfondie et obtient un rendez-vous en urgence pour une échographie.La secrétaire rappelle que la patiente doit boire un demi-litre d’eau une heure avant. Mieux vaut être précis sur certains détails, Camille pourrait préférer la bière. Un demi pour apprivoiser la peur du verdict.

Elle arrive ballonnée à 18 heures et s’avachit prudemment dans la salle d’attente. La vessie lestée, aussi pleine et distendue que l’outre d’un Bédouin s’apprêtant à traverser le désert, Camille perçoit précisément la notion du temps. Chaque minute passée à attendre son tour est une minute de trop.

À 18 h 20, elle n’en peut plus. Elle est sur le point de s’afficher honteusement, elle va bientôt déborder sur le fauteuil en velours cramoisi. Elle se dandine jusqu’à l’accueil, explique son incontinence imminente et la secrétaire lui indique le petit lieu d’extase où elle va pouvoir s’alléger. « Attention, il faut savoir s’arrêter ! » susurre une voix  réprobatrice alors qu’elle se cramponne à la poignée de la porte salvatrice.

Camille compte, elle ne sait pas quoi au juste, mais elle compte jusqu’à ce que la crampe abdominale cesse et regagne son fauteuil immaculé. Deux minutes s’écoulent, la crampe l’assaille de nouveau. Elle laisse glisser son postérieur vers le bord du fauteuil, s’agrippant aux accoudoirs, et serre les dents.

Les crampes sont tellement violentes, l’attente tellement longue, elle en vient à soupçonner le tournage d’une caméra cachée dont elle serait la cible. Comment réagit une pisseuse prête à tout pour aller aux toilettes. Voilà les dégâts occasionnés­ sur les enfants autorisés à regarder la télé le samedi soir. Elle se prend pour la future héroïne d’un programme de divertissement. Elle balaie minutieusement le plafond du regard, devine une caméra dans chaque défaut de peinture, se persuade qu’un crétin déguisé en plante verte va bientôt agiter ses rameaux pour la délivrer de cette  supercherie.

À 18 h 30, soit trente minutes après que sa vessie était à point, l’échographiste vient la chercher. En blouse blanche et non en tenue de camouflage version Ficus elastica.

La praticienne s’arme d’une sonde qu’elle glisse dans une voie naturellement accessible. Certaines boutiques spécialisées en vendent, mais ces objets ludiques, bien que quasi identiques, n’appartiennent alors pas au même registre terminologique.

Elle pousse un cri en débutant ses investigations.

« Il ne fallait pas boire ! Je ne peux rien voir pour ce type d’examen ! » 

Camille grimace et grogne. Elle se prend d’une aversion pour la secrétaire. Elle la maudit. Elle l’exècre. Et lui vient l’envie aussi saugrenue que dégradante de retourner faire pipi sur le fauteuil de la salle d’attente.

Elle a ordre d’aller aux toilettes. Tant mieux, elle n’attend que ça. Elle se déleste mais cela ne suffit pas. Elle y retourne une deuxième fois. Puis une troisième. L’échographiste s’impatiente. Elle lui lance sèchement :

« Vous ne savez pas vider votre vessie ! »

Camille se sent agressée. L’instant est grave, l’embryon est introuvable et elle se fait engueuler. Elle a eu tant de mal à contenir tout ce liquide dans son petit organe, elle s’est tellement contractée afin que rien ne filtre, de toute évidence, elle ne parvient pas à atteindre le relâchement total de ses muscles.

Tout ce que ce médecin peut dire pour l’instant, c’est qu’il n’y a pas d’œuf dans le sac utérin. Voilà. Déjà elle sait que c’est foutu. Vacuité utérine. Vacuité. Lat. vacuitas, de vaccus, vide.

(à suivre)