Post-op, la négligence

Quelques semaines après, c’est la visite postopératoire. Camille a reçu par courrier la date de consultation. Elle a l’intention d’exprimer ses inquiétudes. Jusqu’à présent, on l’a laissée repartir comme ça, seule, sans filet. Toutes ces grossesses qui ne mènent nulle part, décalées dans l’espace, il faut que ça cesse. Elle a besoin d’en parler. Elle espère des réponses, une analyse. Peut-être une solution.

Un stylo à la main, un œil dans ses dossiers, une interne assise à sa gauche, la chirurgienne considère que, comparé aux couples stériles, le cas de Camille n’est pas à plaindre. Elle vérifie la cicatrice. Les services PMA sont surchargés, remplis de femmes qui ne parviennent pas à être enceintes. Personne suivante.

Elle est tout le temps comme ça ou elle banalise devant l’interne ?

Camille referme la porte anéantie. Elle baisse la tête, courbe le dos, fixe les carreaux de céramique blanche, décide de ne marcher que sur le joint noir, funambule égarée, elle se cale sur le fil qui la conduira jusqu’à la sortie. Elle n’en revient pas d’avoir été rembarrée de la sorte. Entend encore les mots, les repasse dans sa tête, vous n’avez pas à vous plaindre, ils se cognent à l’intérieur, font comme des boucles, vous n’avez pas à vous plaindre, ils ne veulent plus sortir, bourdonnent, elle cherche un Doliprane dans son sac. C’est sa troisième grossesse ectopique mais elle n’a pas à se plaindre. C’est délirant. Inhumain.

La dédaigneuse chirurgienne juge sans doute que son intervention magistrale a définitivement résolu le problème et que, dans quelques mois, une grossesse évolutive comblera sa patiente.

À cet instant, Camille préférerait n’avoir jamais été enceinte. On lui proposerait un petit livret de solutions scientifiques. Oui la PMA, c’est difficile, mais ne rien faire c’est pire.

Le couple voyage, sort, tente de profiter de son absence de responsabilités, cinéma, théâtre, concert, restaurant, grasses matinées. S’engueule un peu, beaucoup, passionnément. La souffrance fragilise, exacerbe. Camille se sent nulle, inutile. Se replie dans la honte. Elle pense que Guillaume devrait aller faire des enfants ailleurs. Ça ne sert à rien d’insister, de perdre du temps, de se faire du mal. Chacun sa route, chacun son chemin, chacun son rêve, chacun son destin.

(à suivre)