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Le Spéculum aux alouettes
16 mars 2015

Suivi médical : néant

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Samedi 29 septembre – lundi 1er octobre 2001.

Camille a mal au ventre. Très mal. Elle saigne. La seconde injection est sûrement en train d’agir.

Elle apprécie d’être dans son cocon pour affronter ce qui se passe, une interruption involontaire de grossesse. Mais elle redoute des complications. La GEU, c’est une petite bombe qui peut faire éclater la trompe à tout moment et provoquer une hémorragie interne.

Elle s’inquiète tout le week-end. Se demande si ce qui se passe est normal. Tout ce sang, c’est effrayant. Dimanche soir, Guillaume insiste pour qu’elle téléphone au médecin de garde. Les signes que Camille lui décrit ne l’inquiètent pas, au contraire, ils paraissent plutôt encourageants. Ils indiquent une interruption de la grossesse. La douleur alarmante qu’il ne faut pas négliger, explique-t-il, est celle d’un coup de poignard. Mais Camille n’a jamais été poignardée.

Mardi 2 octobre 2001.

C’est la dernière prise de sang  avant la cœlioscopie. Camille a passé de sales journées, pliée en deux, les yeux bouffis, trempés, les doigts plantés dans son ventre. La nausée au bord des lèvres. Pas celle des femmes enceintes, qu’on supporte pour la « bonne cause ». La nausée des cancéreux. Le méthotrexate et ses effets secondaires, qui lui met le cœur à l’envers et détraque son foie. Une molécule qui bousille tout sur son passage sauf les cellules visées.

Le résultat tombe lourdement : 2 811. + 157. Le compartiment à bagages vient de s’ouvrir au-dessus du siège de Camille. Elle prend sur la tête tout le contenu du coffre. Cette histoire tourne mal, c’est pire qu’un cauchemar, impossible de se réveiller.

Le médecin arrive, Camille lui tend sa copie de mauvaise élève et le fixe. Il hoche la tête, fait des mimiques. Visage toujours très mobile sur lequel les expressions se succèdent au rythme de son interprétation des chiffres. Il considère la hausse très faible, elle est toujours asymptomatique, ça peut marcher. Il fixe l’ultime et dernier délai à vendredi. Camille doit poursuivre une surveillance vigilante en interne. Elle continue à être de garde. Sa vie tient à un fil, l’ébauche d’un cordon ombilical vissé dans ses profondeurs.

Elle ne sait plus trop ce qu’elle éprouve vis-à-vis de cet embryon. Une douloureuse peine parce qu’il va lui être arraché ? De la haine pour ce parasite qui se développe à ses dépens, prolongeant sa souffrance et mettant sa vie en danger ? Après tout, ce ne sont que quelques cellules. Est-ce qu’elle peut les envisager comme un bébé qu’elle va perdre ? Sera-t-elle une mère endeuillée ? Une femme meurtrie ?

Il n’a pas d’avenir dans son ventre. Pourquoi s’y est-il enraciné ?

Vendredi 5 octobre 2001.

C’est le jour du prélèvement dernier. Cela fait deux semaines que le diagnostic a été posé. Deux semaines qu’elle porte une ébauche mortifère. Elle est épuisée. Le curseur de son moral n’a cessé d’osciller du plus au moins. Dans un sens puis dans l’autre. La laissant chancelante, tout étourdie par cette valse des émotions contraires.

Elle décide de ne pas attendre le verdict dans le décor de ses pires souvenirs et revient à l’heure du déjeuner, accompagnée de Guillaume, toujours fidèle au poste, sentinelle désemparée de son chagrin.

Autour de son cou, le collier qu’il lui a offert en voyage de noces. Écorce de noix de coco mauricienne en forme de cœur et lien 100 % coton. Elle le destine à devenir porte-bonheur officiel s’il passe le test avec succès. Besoin de signes. Besoin d’y croire. Quitte à être nunuche.

Son cœur bat si fort qu’il résonne sur ses tympans. Ça claque dans le fond de ses oreilles. Acouphènes et compagnie.

Une main poilue sans alliance lui tend une feuille imprimée identique à toutes les précédentes. Ses doigts tremblants s’emparent du papier. Son regard effleure les chiffres inscrits en gras. Elle inspire longuement… Elle souffle… Elle n’a pas rêvé. 1 911. ça fait - 900. Enfin la chute.

Ses doigts tripotent le pendentif.

Elle se sent soulagée mais un point de côté et une tension dans la cuisse l’empêchent d’apprécier cette nouvelle.

Ils attendent le médecin. Les aiguilles de l’horloge hospitalière tricotent du temps perdu. La trotteuse a fait au moins 3 600 fois le tour du cadran quand elle l’aperçoit. Mais il est aussitôt bipé pour une urgence et ne reste que quelques instants. Camille doit surveiller la douleur et  revenir la semaine prochaine. Quoi ? C’est tout ? Encore sept jours d’angoisses en tous genres sans suivi régulier, en dehors du sien.

Elle a tout un tas de questions qui restent en suspens. Elle ne comprend pas que la taille de l’embryon et l’état de sa trompe ne soient jamais vérifiés par échographie. Déçue, inquiète, elle repart en clopinant.

(à suivre)

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