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Le Spéculum aux alouettes
17 mars 2015

Chirurgie dévastatrice

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Samedi 6 octobre 2001.

Camille se présente sans rendez-vous chez sa généraliste. Elle veut des réponses sur ce qui se passe dans son corps. Elle n’en obtient pas vraiment. Les effets et leur intensité ne sont pas prévisibles. Cela dépend de chacune. Les douleurs et les saignements qui ont repris depuis ce matin sont inhérents à l’interruption de grossesse mais elle doit rester vigilante. Une hémorragie ou le fameux coup de poignard doivent la conduire immédiatement à l’hôpital. Elle ne se sent pas plus rassurée. Comment pourrait-elle l’être ? Le médecin rédige une ordonnance pour une échographie en cas de doute ou de frayeur pendant la semaine.

La GEU est en train de se transformer en fausse couche. Elle se terre dans son lit.

Mercredi 10 octobre 2001.

Camille n’en peut plus de pleurer. Elle ne supporte plus cette pression dans la cuisse. Elle a besoin que quelqu’un  vérifie que tout se déroule correctement. Il est 12 h 30. L’échographiste peut la recevoir, elle fonce au cabinet médical. En quelques secondes, on lui dit qu’elle doit retourner immédiatement aux urgences. L’œuf a grossi et il y pas mal de « liquide » dans le ventre. En fait, l’échographiste n’ose pas lui dire qu’elle est en train de faire une hémorragie.

Le gynécologue de l’hôpital refait une échographie, contrôle de routine sur sa voie publique, et déclare qu’il vaut mieux abandonner. Elle rend les larmes. Et, enfin, elle capitule.

La lutte a duré presque trois semaines. Vingt jours exactement depuis que ce diagnostic l’a ébranlée. Elle a l’impression que cela fait des mois.

Le mercredi après-midi, Guillaume anime des ateliers d’éveil musical pour les enfants. Il adore les enfants. Adolescent, il en voulait déjà. Il va devoir reporter son rêve. Il arrive in extremis et accompagne Camille jusqu’à la porte du bloc en lui serrant la main.

Elle émerge en salle de réveil et s’adresse immédiatement à la première personne qu’elle devine, ni lentilles ni lunettes, c’est un peu flou :

« Et ma trompe ? »

Réflexe de pachyderme. La réponse ranime brutalement son cerveau embrumé :

« On l’a enlevée. »

Camille fond en larmes. Les vannes ont cédé. Ça ne veut plus s’arrêter. Elle pleure tous ces jours passés. Elle pleure sa douleur, son épuisement. Elle pleure ce dénouement. L’embryon. La trompe. Jetés dans la poubelle des déchets anatomiques humains.

Quelqu’un lui demande plusieurs fois pourquoi elle pleure. Elle n’entend pas. Elle chiale comme une môme car elle se sent soudainement handicapée de l’appareil reproducteur.

Elle n’a même pas imaginé que ça pouvait se terminer comme ça. Évidemment, elle aurait pu s’en douter. Mais quand l’analyse a révélé un arrêt de la grossesse, elle s’est crue à l’abri du danger. Elle en veut au chirurgien. Il lui faut un responsable. C’est bien la faute de quelqu’un si elle souffre autant. Elle n’a pas mérité ça. Il aurait dû évoquer cette possibilité au cours de toutes ces entrevues à la volée durant lesquelles il recommandait de surveiller la douleur. Il l’a plusieurs fois avertie que la cœlioscopie n’était pas à écarter, il lui a même fait signer une sorte de décharge dans ce sens. Mais il n’a jamais souligné le fait que la trompe risquait d’être endommagée au point d’être retirée.

De retour à la maison, elle cherche dans sa pochette tous les documents rassemblés. Une pochette verte couleur de l’espoir. C’est le début des superstitions et des pensées magiques. Une puissance inconnue va forcément intervenir. Quelque chose ou quelqu’un va l’aider, c’est sûr.

Je soussignée, Camille Lesage, certifie avoir été informée et avoir bien compris le principe d’un traitement de GEU.

Le traitement classique étant chirurgical, l’alternative étant médicale, j’accepte de poursuivre un traitement par injection.

Je suis avertie des risques de complications de la GEU pouvant nécessiter une intervention chirurgicale.

Fait à … le 28/09/01

Les complications ne sont pas énumérées mais le fait qu’on lui demande d’écrire cette lettre laisse supposer que ça va mal finir. C’était peut-être déjà trop tard quand elle a signé.

Elle est devenue idiote le jour de l’annonce de cette grossesse pas ordinaire. Elle a laissé une phobie décider à sa place. Et la décision n’était pas la bonne.

Elle n’a plus qu’une seule trompe. Elle ne s’y attendait pas et le choc est rude.

Camille associe cette salpingectomie à une mutilation de sa féminité, même si elle n’est pas apparente. C’est un coup de scalpel dans le désir viscéral et incommensurable de maternité.

(à suivre)

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