Aide personnelle à la procréation (ou quand tu fais n'importe quoi pour atteindre ton but)

Camille n’a pas l’intention d’abandonner sous prétexte que la médecine la laisse tomber. Au contraire. Ça lui donne envie de se battre. Elle ne veut pas renoncer, elle n’est pas prête. Pas déjà, c’est trop tôt. Ce qu’elle veut, c’est envoyer un faire-part de naissance à son gynéco afin qu’il l’affiche dans sa vitrine magique. Fière exposition de tous ses succès qui, à chaque rendez-vous, la narguait, la blessait, remuait le bistouri dans son moignon tubaire. Elle avait l’air si féconde. Ça ne peut pas se terminer ainsi.

Elle démarre sa conquête de la fertilité par deux évidences largement diffusées, compléments alimentaires et position favorable.

Elle se gave au long cours d’Oligobs PMA, cocktail chargé en vitamines, minéraux et acides aminés, booster de fertilité, et garde les jambes en l’air, contre le mur, au moins vingt minutes après chaque rapport, quand on n’a pas d’enfant, on a du temps. Ou, tout au moins, elle place un oreiller sous ses fesses afin que l’angle d’inclinaison de son bassin aide la progression des spermatozoïdes. Loi de la gravité. Il semble plus facile pour eux d’être dans un courant descendant.

Afin d’optimiser cette nouvelle hygiène de vie, ils multiplient les tentatives, cobayes de la stérilité, écumant les salons bien-être et médecines douces, à la recherche de la méthode qui aurait un effet curatif concluant.

Au début, ils restent sur le chemin balisé de la médecine traditionnelle chinoise. C’est rassurant, la médecine. Il y a un cadre, des études, elle repose sur un savoir et une expérience transmis depuis des millénaires. Il suffit d’aller dans le quartier chinois pour trouver un médecin et la pharmacie qui délivrera le mélange de plantes chinoises prescrit. Ils avalent donc des breuvages au goût douteux, à l’odeur indéfinissable, adaptés au rééquilibrage du yin et du yang. Chacun son assortiment de plantes pulvérisées, à dissoudre dans de l’eau chaude. La première dégustation est désagréable, cette saveur n’est pas référencée dans leur cerveau. Camille fronce le nez, claque plusieurs fois la langue sur le palais pour signifier son écœurement.  Ils échangent leur tasse, pour tester, et curieusement, chacun préfère la mixture de l’autre. Peu à peu, ils s’habituent, les papilles s’adaptent, et ils finissent même par apprécier ce philtre de fécondité qui remplace le capuccino du dimanche.

Camille note à regret un affolement de ses follicules sébacés. Son visage fleurit, On est bien peu de chose, Et mon amie la rose, Me l’a dit ce matin, elle n’est plus la plus belle, la rose est en boutons, la puberté s’étale sur sa peau de trentenaire attardée. Trente-cinq ans, pas d’enfant, de l’acné. Elle remarque une période ovulatoire douloureuse, associée à de légers saignements, métrorragie d’ovulation d’après les livres. Incontestablement, il se produit quelque chose au niveau hormonal, mais elle préférerait qu’un unique et gros bouton lui pousse sur le ventre.

Dans les allées bondées d’un salon zen, ils s’interrogent sur la lithothérapie. Il faut accepter de croire que les pierres émettent naturellement une résonance, une vibration capable d'améliorer l’équilibre d’une personne. Mise à la porte de la PMA, Camille est prête à croire n’importe quoi. Et puis ce n’est pas si farfelu, elle se protège toute la journée pour éviter les ondes négatives de sa chef, portant des vêtements militaires comme rempart symbolique, elle ressent les bienfaits du soleil, dont les premiers rayons agissent comme un baume, elle en profite les yeux mi-clos, le visage tourné vers le ciel, ronronnant tel un chat comblé. Elle ressent la déprime de la pluie, le manque de lumière, et ça fait comme après le passage du ramoneur, quand la poussière de suie vole et se dépose un peu partout, on pense qu’il suffit de nettoyer mais les traces noires s’étalent au lieu de disparaître. Il y a donc bien quelque chose qui vibre, qui envoie des informations, peu importe ce que c’est ou comment ça s’appelle.

Et les voilà parés de pierres précieuses au niveau du chakra sacré, deux doigts sous le nombril. Guillaume trimballe dans sa poche une météorite chargé en ferritine, minerai sensé accroître sa production masculine. Camille veut cumuler les pouvoirs et choisit trois pierres qui vont développer sa féminité. Il faut que ça tombe pile au bon endroit, la poche c’est approximatif, alors elle rassemble pierre de lune, perle et cornaline dans une pochette en lin qu’elle accroche à la boutonnière de son jean. Elle oublie régulièrement la présence de cette aumônière thérapeutique et manque souvent de la perdre à la pause, emportée par le ressac d’une chasse d’eau.

Le temps court maintenant, il presse, il oppresse. Il faut changer de tactique, trouver autre chose. Ils achètent des « eaux de couleur », se vaporisent et s’indisposent mutuellement. Deux à trois pschitt dans la paume des mains qu’il faut  frotter l’une contre l’autre puis plaquer sur le nez afin d’inspirer profondément trois fois de suite les curatifs effluves. À renouveler au moins quatre fois par jour.

En théorie, d’après le petit fascicule, chaque senteur a une action spécifique sur l’organisme, tant sur le plan endocrinien que psychologique. La combinaison de la fragrance et de la couleur augmenterait l’action du parfum sur les plans physiologiques et énergétiques. Jolis blablas mais elle veut un résultat. La couleur orange agissant sur la fécondité, Camille laisse dans son sillage une ambiance olfactive qu’elle compare à un étal d’agrumes en fin de marché, une surprenante odeur de clémentines molles et chaudes proches de la décomposition.

(à suivre)