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Le Spéculum aux alouettes
26 novembre 2015

PMA, FIV et boulot

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La RATP en prend pour son grade. Il y a des périodes où les perturbations sont quotidiennes, Camille s’en empare, invente des prétextes fallacieux, une panne, un suicide, un voyageur malade, une grève surprise. Elle, toujours si ponctuelle, ne peut pas mentir. Sa chef en profite pour bougonner sur le sujet, elle-même victime d’un RER B capricieux. Elle ne comprend que ce qu’elle vit personnellement et elle ne vit pas grand-chose. Elle est donc odieuse pour l’essentiel de son temps. Toujours en train de marmonner seule, le teint écarlate, à la limite de l’apoplexie. Toujours prompte à hurler, taper sur son bureau et mouliner l’air de ses bras à chair flasque.

Camille sait que la situation va se gâter avec deux jours d’absence, un pour la ponction, le second pour le transfert. Elle connaît d’avance la réaction de cette chef de sévices, un cas psychiatrique en libre circulation : une engueulade injustifiée et cataclysmique. Car la chef ne s’absente jamais. Quitte à refiler la grippe ou la gastroentérite à tout l’étage, elle met un point d’honneur à s’asseoir chaque jour à son bureau. Elle ne travaille pas toujours, au sens strict du terme, Camille cravache pour mettre les bouchées doubles, mais elle est là, son corps est présent. Régulièrement, elle s’assoupit après le déjeuner. Le ballon de rouge siroté pendant le repas la berce. Sa tête, calée dans le creux de la main, penche doucement en avant, les paupières lourdes murent lentement sa vue, sa respiration devient plus bruyante. Camille fait alors tomber le pot à crayons ou donne un coup de règle sur la table de travail. La chef sursaute, n’imagine pas la fourberie intentionnelle de Camille, absorbée par sa relecture, et, bien vite, la somnolence l’emporte de nouveau. La tête penche. Camille sait qu’elle est tranquille.

Le vingt-septième jour, enfin, la piqûre de déclenchement qui va provoquer l’ovulation. À programmer vers minuit car la ponction d’ovocytes est prévue en fin de matinée le surlendemain. La ponction se fait sous anesthésie générale. Dans cette clinique classieuse, on préfère ne pas entendre les femmes se plaindre ou souffrir, on les endort et puis c’est tout. Camille attend l’appel du laboratoire pour connaître le nombre et la qualité des embryons.

Ils sont trois, de bonne qualité. Tous les trois enfournés le jour du transfert. Ils ont deux jours de vie. Camille se demande si tout cela n’est pas qu’un leurre. Qu’est-ce qui prouve que ce sont bien leurs embryons dans ce ridicule cathéter ? Et si le cathéter est vide ? Elle voit déjà la une du Parisien, PMArnaque, une clinique transfère du sérum phy dans l’utérus de ses patientes. Et si les embryons sont restés collés à la paroi ? Il lui vient des idées insensées.

Lorsqu’elle quitte la clinique, elle est techniquement enceinte puisqu’elle transporte in utero trois embryons. Pas encore fixés, bien jeunes pour se promener tout seuls, elle espère qu’ils ne vont pas se perdre.

De retour à la maison, Guillaume fait la sieste. Camille passe l’aspirateur. On lui a dit de vivre comme d’habitude et elle ne sait pas se reposer quand l’appartement n’est pas propre et rangé.

Le soir, ils dînent au Punjabi et elle boit une bière indienne. Pas envie de se focaliser sur l’espoir d’une grossesse. Avec un taux de réussite entre 20 et 25 %, elle préfère éviter de faire comme si elle était enceinte. Trop peur de la dégringolade. Elle a déjà donné.

Lorsqu’elle revient au travail, elle a manqué deux journées. Le jeudi, pour la ponction, et le vendredi, pour éviter l’affrontement de la caporale chef en cette période délicate. Le transfert a eu lieu le  samedi. Elle est enceinte depuis trois jours. Fragilisée, anxieuse. Elle porte un treillis kaki, sa tenue de combat qu’elle revêt lorsqu’elle prévoit des tensions. La cheftaine, en jupe plissée bleu marine modèle unique + lot de trois tee-shirts (jaune pâle, bleu ciel et vert d’eau) pour les quatre saisons, ne déçoit pas ses attentes. Elle a réservé un accueil volcanique, sûrement ruminé tout le week-end, impatiente de fondre sur sa proie. Tyrannique et perverse comme à son habitude, déchaînée comme un pitbull dressé pour l’attaque, elle arrache sa muselière dès qu’elle aperçoit Camille et vocifère des reproches avec la mauvaise foi sidérante dont elle abuse quotidiennement, au nez et à la barbe de toute l’entreprise, y compris des dirigeants qui, parfois, incommodés par ces nuisances sonores, viennent fermer la porte du bureau, l’emprisonnant dans cette étouffante cellule. L’unique fenêtre émerge sur le zinc des toits alentours qu’il faut regarder à travers une grille cadenassée dont le Cerbère psychopathe détient la clé. Et ne juge pas utile de l’utiliser.

Camille sent trembler les mûres. Les trois petites morulas qui ont été transférées, leurs seuls embryons formés au cours de cette FIV. Les murs aussi tremblent. Ceux de son bureau, mais nul ne s’en préoccupe. Fissurés par les hurlements d’une malade mentale dont elle apprendra plus tard, lors de son départ à la retraite, qu’elle s’est inventée une vie empruntée à sa sœur, parlant de son mari et de ses fils, en réalité son beau-frère et ses neveux. Jamais mariée. Jamais eu d’enfant. Vierge, de toute évidence. Comment pourrait-il en être autrement ?

(à suivre)

 

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