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Le Spéculum aux alouettes
21 mai 2015

Le Clearblues de fin de cycle

sans-titre

Six mois qu’elle cicatrise. Les cellules tissulaires se régénèrent lentement. Son cœur de presque mère saigne encore, mal rafistolé par ses soins. Les sutures restent fragiles, l’amertume suinte doucement.

L’été se fige sous la canicule. Les grandes vacances enterrent les petits vieux sous le soleil exactement. La chaleur n’incite pas au rapprochement amoureux des corps. Bien au contraire, elle pousse chacun à s’allonger dans la posture de l’étoile de mer, loin de toute autre source au pouvoir calorifique. Mais l’instinct de reproduction procure une énergie insoupçonnée et sans cesse renouvelable. Les travaux pratiques dans cette moiteur accablante, semblable à celle des pays du Sud, c’est leur façon de participer au développement durable.

L’automne caramélise les forêts. Les feuilles bistre tournoient au gré des vents contraires puis s’amoncellent sur les trottoirs devenus glissants. Camille change de travail. Marre de bosser auprès d’un public. Elle ne supporte plus les enfants qui courent, qui piaillent, qui rient dans la bibliothèque. Ni leurs mères accrochées à la nacelle du petit dernier, qui se plaignent des nuits hachées. Encore moins celles qui allaitent, au fond, sur les coussins. Enfermée dans un bureau, elle sera bien. Métro, boulot, dodo. Le froid hivernal saupoudre les fenêtres de givre sculpté. Du temps qui passe. Qui s’entasse.

Cela fait huit mois que Camille navigue sans contraception. Aucun début de grossesse. Pas un seul jour de retard pour raviver un espoir terni d’appréhension. Aucune occasion d’uriner sur une bandelette ne se présente. Elle en a pourtant acheté un stock aux États-Unis, en prévision. À 10 euros le Clearblue, l’angoisse de la grossesse non détectée revient cher. Une douzaine de dollars pour une vingtaine de bandelettes sur Internet, c’est bien plus avantageux. La personne qui a préparé le colis a écrit good luck sur l’emballage, c’est gentil. En le recevant, elle a pensé que ça lui porterait chance.

Concevoir un enfant est devenu un défi. Camille en a besoin pour trouver sa place, se caser sur l’échiquier familial et social. Prouver qu’elle aussi, elle peut réussir l’un des actes les plus naturels qui existent. Elle doit y arriver. Le contraire serait un échec.

On pense toujours que la prochaine, ce sera elle. Mais elle n’est pas celle-là. Elle regarde fleurir les grossesses des autres, spectatrice meurtrie, faussement heureuse du bonheur alentour et coupable de ne pas savoir s’en réjouir. Gênée dans les deux cas. Les mois se succèdent inlassablement et finissent par clore dans la joie programmée, un soir de 31 décembre, l’année écoulée, avec le vœu que la prochaine sera meilleure que la précédente. Les bougies continuent de s’amonceler sur son gâteau d’anniversaire. Et rien ne change.

Les réunions familiales deviennent de plus en plus difficiles à supporter. En bon petit soldat, elle les honore. Appréhende, palpite, se sent nauséeuse, mal à l’aise mais plaisante, fait le pitre, rie trop fort car ne sait plus comment on rit en vrai. Repart la première, éreintée, le moral au plus bas.

Ses années stériles s’enchaînent alors que les familles s’agrandissent. Petit frère, petite sœur pointent leur nez. Son amie Mélanie porte son troisième enfant alors qu’elle n’en voulait que deux. Camille ne s’y attendait pas, elle se croyait à l’abri de cette annonce. Un choc. Presque une trahison. C’est pas juste, c’est du vol, ça devrait être le sien. Elle espère l’aîné, l’unique. Un seul désormais la comblerait. Elle a cessé d’être exigeante.

Guillaume devient un distributeur de sperme à son insu. Le désir de l’autre se perd dans son acharnement « conceptionnel ». Elle veut être enceinte. Malgré la peur. Malgré ses antécédents. Ou à cause d’eux. Pour réparer et oublier.

Thermomètre et courbes de température régulent sa libido. Les tests d’ovulation achetés en gros, également sur Internet, vont se planquer tout au fond de l’armoire à pharmacie. Ne pas afficher son obstination.

Est-ce que, profondément, intimement, elle désire un enfant ?

Est-ce qu’elle veut seulement prouver qu’elle peut faire un enfant ?

Elle ne sait plus. Elle n’a pas de réponse et ne veut même pas la connaître. Elle est entrée en guerre contre son corps.

(à suivre)

 

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